Un séjour dans le Lake District, nord de l’Angleterre. Une région où je n’étais jamais allée auparavant, en tout cas pas à partir de l’âge où j’aurais pu en conserver des souvenirs. Des lacs, des collines, des forêts, des prés où paissent des moutons. Un cottage isolé, tout au bout de la route de graviers qui ne mène nulle part sauf à cette maison tellement reculée que les téléphones ne captent plus rien. Ce qui laisse beaucoup de temps pour ne plus penser au monde extérieur. Pas de claustrophobie, non, je suis enchantée par la vue, par la forêt inquiétante, par la colline écrasante, par le brouillard du matin et la clarté du soir. Petit à petit l’endroit hypnotise, je resterais là pour toujours, je me sens chez moi. L’endroit inquiète aussi un peu, on rit de l’inscription sur la barrière « Please keep the gate closed », veuillez garder la barrière fermée, mais ça donne quand même des idées. Il y a une balançoire quelque part dans la forêt, une vieille balançoire qui rouille là depuis la nuit des temps, sur laquelle a dû jouer une fillette anglaise du siècle passé, si pas du précédent. Je me réveille tous les matins avec trois ou quatre heures d’avance, à cause des papillons de nuit qui restent coincés dans les vieilles fenêtres – j’ai le sommeil suffisamment léger, parfois, pour être tirée des bras de Morphée par le bruit d’ailes de papillons sur une surface de verre. Alors, sans bruit, je passe devant la vieille armoire dont un tiroir est coincé, je prends mes cahiers et je descends l’escalier grinçant – tout contre le mur pour être moins bruyante et avoir plus de temps avant que la maisonnée ne se réveille. Je traverse la cuisine, sur la table trône la boîte en métal où on a rangé les noisettes et les amandes pour les écureuils. Je pousse la porte blanche, silencieusement, je passe sous le porche de poutres noircies et je m’installe sur la terrasse. Dans l’humidité du matin, sous le regard bienveillant de cette immense colline, face à ce jardin en friche, j’écris. J’écris n’importe quoi, parce que j’ai des textes à finir, des histoires à raconter à des gens que je ne rencontrerai jamais, c’est le drame d’internet – je n’ai jamais écrit d’aussi longs chapitres que ces jours-là. J’écris, et un chat borgne apparaît au coin de la maison. Je repense à une chanson de Pink Floyd que j’aime beaucoup, Lucifer Sam, et qui prétend que « That cat’s something I can’t explain », ce chat a quelque chose que je ne parviens pas à expliquer. Et je repense à la petite fille qui se balançait dans la forêt. Et j’écris l’histoire de la petite fille et du petit chat borgne qui avait peur de moi.
"Lucifer Sam" est l’histoire d’un petit chat borgne qui avait peur d’une petite fille qui aimait les écureuils. C’est l’histoire d’une autre petite fille qui aimait jouer à la balançoire. C’est l’histoire d’un tiroir coincé, d’une porte qu’il faut garder fermée, de papillons, d’une région magnifiquement belle et si reculée que n’importe quoi peut arriver car personne n’en saura jamais rien. Personne, sauf la grande colline que même le brouillard anglais ne parvient à cacher.
Mon roman fantastique "Lucifer Sam" va sortir aux Editions du Chemin ce 25 août, mais si la lecture d'un extrait vous intéresse, contactez-moi par MP, et je me ferai un plaisir de vous en envoyer les deux premiers chapitres !